Par Florian Kastler, docteur en droit public, enseignant à Sciences Po Paris, ATER à l’université Paris Descartes
Le 19 mai 2017, par un vote à la majorité des Etats membres au troisième tour, l’Assemblée mondiale de la santé (AMS) a élu M. Tedros Adhanom Ghebreyesus, candidat soutenu par l’Ethiopie, comme Directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Cette élection, qui met fin à un processus électoral entamé en avril 2016, apparaît non seulement comme innovante dans son déroulement mais également déterminante pour l’avenir de cette organisation de santé mondiale.
Un processus électoral rénové
En tant qu’institution spécialisée de santé du système des Nations Unies, l’OMS est une organisation intergouvernementale dont le fonctionnement repose en grande partie sur les Etats membres –au nombre de 194– qui la constituent. Ainsi, l’élection du Directeur général de l’OMS dépend du choix des Etats membres suivant une représentation égalitaire : un pays, un vote. Toutefois, par comparaison aux élections précédentes, de nombreuses évolutions sont à souligner dans ce processus.
D’abord, pour la première fois, l’OMS a adopté un Code de conduite pour l’élection du Directeur général tout au long du processus (Résolution WHA66.18). Texte non contraignant énonçant les pratiques à suivre, il vise à promouvoir un processus ouvert, juste, équitable et transparent en donnant des prescriptions d’ordre général et spécifiques. Ainsi, le Code prévoit l’obligation pour les Etats membres proposant des personnes pour le poste de divulguer les informations concernant les subventions ou financements accordés à d’autres Etats Membres au cours des deux années précédentes. De même, les voyages effectués par les candidats pour leur campagne électorale doivent être limités afin d’éviter toute dépense excessive susceptible de conduire à une inégalité entre Etats membres et candidats.
Ensuite, une fois la liste des six candidats officiellement annoncée en septembre 2016, la procédure a permis un renforcement de la transparence. D’une part, les propositions, curriculum vitae et les documents pertinents des candidats ont été traduits dans les six langues officielles et diffusés à tous les Etats membres ainsi que sur le site internet de l’OMS. D’autre part, des échanges en direct entre les Etats membres et les candidats ont été organisés dans le cadre de forums électroniques diffusés sur internet. On peut regretter que ces débats n’aient pas été ouverts à la participation de la société civile, même si un forum sur le site web de l’OMS permettait des questions et réponses ouvertes.
Par ailleurs, dans ce processus par étape, le Conseil exécutif de l’OMS –organe composé de 34 Etats membres de l’OMS et qui veille à la mise en œuvre des décisions de l’AMS– a procédé à la présélection des six candidats, après s’être entretenu avec l’ensemble des candidats. En vertu de la Résolution WHA65.15, les candidats retenus devaient remplir des critères de qualifications professionnelles et d’intégrité, dont notamment une solide formation technique en santé, une vaste expérience de l’action sanitaire internationale, et avoir d’excellentes compétences en matière de communication et de sensibilisation. Les 3 candidats désignés (M. Tedros Adhanom Ghebreyesus, M. David Nabarro et Mme Sania Nishtar) ont ensuite mené une véritable campagne électorale afin de préciser leurs positions et priorités, comme en témoignent notamment les forums de discussion qui se sont déroulés à Chatham House à Londres et à Sciences Po Paris ainsi que les entretiens dans des revues internationales.
Enfin, pour limiter l’influence politique de certains Etats membres, le vote électronique à bulletin secret a été mis en place, mettant fin à la pratique de la main levée qui existait jusqu’à présent. Ainsi, pour la première fois, 3 candidats se sont présentés pendant 15 minutes devant l’AMS et ont été soumis à son vote le 19 mai dernier.
Malgré la persistance d’enjeux politico-diplomatiques, la pluralité des candidatures ainsi que l’encadrement juridique du processus électoral a donné lieu à une véritable compétition entre les candidats, les obligeant à présenter un programme détaillé. Cette élection se différencie de celle de Mme Chan, la directrice générale précédente, en ce qu’elle elle avait été la seule candidate proposée par le Conseil exécutif et nommée par l’AMS. Cette concurrence saine s’est également exprimée au moment du vote. Ainsi, aucun candidat n’a été en mesure de réunir les deux tiers des votes nécessaires lors des deux premiers tours. Ce n’est qu’au troisième tour que M. Adhanom l’a emporté, à une large majorité des Etats Membres de l’OMS avec 133 voix contre 50 voix pour M. Nabarro (soutenu par la Grande-Bretagne). Mme Nishtar (soutenue par le Pakistan) avait été éliminée à l’issue du premier tour. On notera qu’en application de l’article 7 de la Constitution de l’OMS, 186 Etats membres sur 196 étaient à jour de leur cotisation et ont eu le droit de participer au vote. En effet, dix Etats Membres ont vu leur droit de vote suspendu car ils ne remplissaient pas leurs obligations financières.
Au-delà de considérations pratiques dans l’organisation de l’élection du Directeur général de l’OMS, cette fonction se doit d’être incarnée pleinement afin de donner toute la légitimité et la crédibilité à cette institution dans sa protection de la santé mondiale. A cet égard, le profil de M. Adhanom a fait de lui le candidat favori à cette élection.
Le candidat favori
En devenant le 9ème Directeur général de l’OMS, M. Adhanom est également devenu le premier africain à diriger cette institution spécialisée depuis sa création en 1948. Selon une tradition qui apparaît aujourd’hui un peu dépassée, mais encore partiellement réaffirmée par la résolution WHA65.15 (précitée), il devait être tenu compte de la représentation géographique équitable et de l’équilibre hommes-femmes dans la désignation des 3 candidats finalistes. Ainsi, pour l’élection définitive, après avoir vu les différents continents représentés (Amérique du Nord 1 fois, l’Europe 3 fois, Amérique du Sud 1 fois et Asie 3 fois), il ne manquait plus que le continent africain. Toutefois, il serait réducteur d’expliquer la victoire de M. Adhanom uniquement en raison de son origine géographique.
Titulaire d’un master en science et d’un doctorat en santé communautaire, M. Adhanom a la particularité de ne pas être un médecin, ce qui est à nouveau une première à la tête de l’OMS. Il bénéficie, par ailleurs, d’une double expérience de ministre de la santé (2005-2012) et des affaires étrangères (2012-2016) en Ethiopie, ce qui correspond bien aux compétences attendues du Directeur général de l’OMS qui doit manier les règles de la diplomatie internationale et défendre les intérêts sanitaires et médicaux. Il a également été Président du Conseil du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, président du Conseil du Partenariat Faire reculer le paludisme et Coprésident du Conseil du Partenariat pour la Santé de la mère, du nouveau-né et de l’enfant. Ainsi, M. Adhanom est reconnu pour ses compétences en matière politique et diplomatique, sa capacité à obtenir des financements et son expérience de gouvernance de la santé dans un pays en développement. Enfin, à 52 ans, il est le plus jeune Directeur général de l’OMS ce qui pourrait lui permettre d’avoir une vision à long terme des besoins de l’OMS et de les exécuter au travers de deux mandats.
Toutefois, de fortes accusations ont entachées sa candidature. D’abord, lorsqu’il était ministre de la santé, il lui a été reproché par un professeur de droit international de la santé, Lawrence Gostin, considéré comme un proche de M. Nabarro, d’avoir passé sous silence trois épidémies de choléra en 2006, 2009 et 2011. Par ailleurs, le mot-dièse #NoTedros4WHO (« Non à Tedros pour l’OMS ») est apparu sur Twitter afin de dénoncer la répression des ethnies Oromo et Amhara et l’instauration le 9 octobre 2016 de l’Etat d’urgence en Ethiopie sous le gouvernement auquel appartenait M. Adhanom. Enfin, le Directeur d’Africa Tobacco Free Initiative, Frank Ashall, dans une lettre ouverte, lui reproche d’avoir soutenu des accords entre le gouvernement éthiopien, le groupe Japan Tabacco International (2016) et le groupe British American Tabacco (2013). Ces différentes allégations se sont finalement davantage retournées contre M. Nabarro l’accusant de chercher, indirectement, à critiquer un adversaire.
Néanmoins, malgré ces accusations, il a obtenu le soutien de l’Union Africaine (55 voix) et est rapidement apparu comme le favori en raison de ses compétences, de son origine et de son bilan à la tête notamment du Ministère de la santé d’un pays en développement. A partir du 1er juillet 2017, il s’apprête ainsi à diriger une organisation qui emploie plus de 7 000 personnes de plus de 150 nationalités différentes dans 150 bureaux de pays, zones ou territoires, 6 bureaux régionaux et au siège situé à Genève.
Il convient dès lors d’analyser l’importance du rôle du Directeur général et de ses compétences qui peuvent varier en fonction de son incarnation.
Une fonction importante à incarner
Selon l’article 31 de la Constitution de l’OMS, le Directeur général est le plus haut fonctionnaire technique et administratif de l’Organisation. Assisté de six sous-directeurs généraux et aidé du Secrétariat (ensemble des professionnels de la santé, experts et personnel de soutien administratif œuvrant au siège de Genève et dans les six bureaux régionaux), il met en œuvre les décisions prises par l’AMS, il est en relation directe avec les autres organisations intergouvernementales, les organisations sanitaires gouvernementales et les administrations des Etats membres (article 33), il prépare et soumet les rapports financiers et les prévisions budgétaires de l’Organisation (article 34) et il nomme le personnel du Secrétariat (article 35). Il prend l’ensemble des décisions administratives relatives à l’OMS et représente l’Organisation. Ainsi, le Directeur général dépend théoriquement en grande partie des décisions prises par l’AMS composée des Etats membres de l’OMS en tant qu’organisation intergouvernementale.
Toutefois, plusieurs éléments viennent tempérer la dépendance du Directeur général de l’OMS.
D’abord, il possède des compétences propres importantes puisqu’il a la capacité de convoquer des commissions, des comités ou des conférences notamment d’experts scientifiques afin d’émettre des recommandations techniques. Il peut également, dans le cadre du Règlement sanitaire international révisé en 2005, déclarer une urgence de santé publique de portée internationale (USPPI) en prenant en compte les notifications des Etats membres, l’avis du comité d’urgence et les informations de la société civile. C’est ainsi que Mme Chan a déclaré une USPPI pour le virus Ebola en 2014 et Zika en 2016. De même, lors des réunions, son rôle est essentiel et il peut à tout moment (Article 54 du Règlement intérieur de l’Assemblée mondiale de la santé) intervenir oralement pour faire une déclaration qui peut changer le cours du débat et influencer l’attitude des délégués.
Ensuite, dans l’exercice de leur fonction, le personnel et le Directeur général ne devront solliciter ou recevoir d’instructions d’aucun gouvernement ou d’aucune autorité étrangère à l’Organisation (article 37). Ils ne doivent servir que l’Organisation en mettant de côté leur appartenance nationale. Cela implique que le Directeur général, comme le personnel, ne sont responsables qu’envers l’Organisation et qu’ils doivent respecter une obligation d’impartialité vis-à-vis des Etats membres. A l’inverse, chaque Etat membre de l’Assemblée mondiale de la santé s’engage à respecter le caractère exclusivement international du Directeur général et du personnel et à ne pas chercher à les influencer. Ces dispositions qui sont communes à toutes les organisations des Nations unies visent à assurer l’indépendance du Secrétariat et du Directeur général et à les protéger contre les pressions politiques des Etats.
Enfin, les compétences de droit du Directeur général vont au-delà de ce qui est prévu dans la Constitution et il dispose d’une influence remarquable sur l’Organisation qui, concrètement, dépend en grande partie de sa personnalité et de son charisme. Le Directeur général se trouve dans une position unique pour gérer les travaux de l’OMS en liaison notamment avec les représentants des Etats membres et les conflits qui peuvent émaner. L’ensemble des responsabilités politiques dont disposent le Directeur général n’émanent pas toutes du texte de la Constitution mais de la pratique dans l’exercice de ses obligations. Selon la personnalité du Directeur général, ce rôle peut être amplifié ou minimisé.
L’histoire a démontré que l’incarnation du rôle de Directeur général a eu une influence essentielle sur l’étendue de ses compétences et sur la réussite des actions entreprises par l’Organisation. Le Directeur général doit être en mesure d’orienter et de modifier la stratégie et les activités techniques de l’Organisation, en obtenant l’adhésion des Etats membres et le soutien du Secrétariat. Par exemple, le deuxième Directeur général, M. Candau, de 1953 à 1973, est reconnu pour avoir permis à l’OMS d’être considérée comme l’institution spécialisée la plus efficace du système des Nations Unies. De même, Mme Brundtland, élue en 1998, alors que l’OMS faisait face à des critiques, a su placer son mandat sous le signe du changement en opérant une restructuration administrative de l’institution et en luttant contre la dispersion de programmes verticaux mal coordonnés. Par ailleurs, elle a su, grâce à sa volonté affichée, faire adopter la première convention internationale conclue sous l’égide de l’OMS et de l’article 19 de sa Constitution : la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT)adoptée en 2003. Les observateurs ont qualifié le mandat de Mme Brundtland de 1998 à 2003 comme ayant considérablement changé le paysage de la santé mondiale.
Il en résulte que si les Etats membres jouent un rôle primordial dans les organes principaux que sont l’Assemblée mondiale de la santé et le Conseil exécutif, une analyse plus approfondie nous montre que l’autorité de l’OMS dépend en partie du travail accompli par le Directeur général et le Secrétariat. En effet, on peut se demander si, en pratique, il ne revient pas au Secrétariat et au Directeur général de mener de fait la politique de l’OMS par leur travail au quotidien. Le poids pris par les organes intégrés au sein d’une organisation internationale constitue un « excellent instrument de mesure de sa puissance et de son autorité à l’égard de ses membres » (Combacau et Sur, Droit international public, LGDJ, 11ème éd., p.736).
Il convient d’espérer que M. Adhanom soit capable d’incarner au mieux ses nouvelles fonctions afin de redonner de la légitimité et de la crédibilité à l’OMS. Son programme ambitieux semble le démontrer.
Un programme ambitieux, déterminant de l’avenir de l’OMS ?
Durant sa campagne, M. Adhanom a formulé plusieurs promesses. La première est de travailler afin de mettre en place la couverture sanitaire universelle, initiée par Mme Chan. La deuxième est de renforcer les capacités des pays à répondre en urgence aux épidémies. La troisième est de développer les systèmes de santé locaux pour les soins de première ligne, le recueil des données et la lutte contre les maladies non transmissibles en promouvant les déterminants sociaux de la santé et en agissant contre la résistance aux antimicrobiens. Sa quatrième promesse vise à stimuler l’état d’esprit des personnels de l’OMS. Enfin, le nouveau Directeur général a promis de faire de l’OMS une organisation imputable de ses actes, transparente et à la recherche d’une amélioration continue. Face à ses promesses, M. Adhanom sera confronté à de nombreux défis.
D’abord, il faudra rétablir l’équilibre du budget de l’OMS au sein duquel les cotisations fixes et régulières des Etats membres ne représentent plus que 20%. Les 80% restant sont composés de contributions volontaires d’acteurs étatiques et privés dont notamment la fondation Bill et Melinda Gates. Ces contributions volontaires permettent à leur donateur de décider des programmes à financer remettant en cause l’autonomie de l’OMS. Ensuite, il faudra qu’il soit en capacité de résister à l’influence des industries pharmaceutique et de l’agro-alimentaire afin de lutter contre les maladies non transmissibles.
Enfin, plus largement, le positionnement de l’OMS dans l’action de santé mondiale devrait être déterminé par le nouveau Directeur général. En effet, (re)connue pour son autorité normative et scientifique malgré certains scandales récents, l’OMS, au vu de ses fonctions constitutionnelles, peut aspirer à dépasser ce rôle attendu. Elle peut ainsi s’orienter vers une approche juridique de son action telle qu’illustrée par la révision du RSI et l’adoption de la CCLAT dans les années 2000. A cet égard, M. Adhanom semble attaché à la reconnaissance et la mise en œuvre du droit à la santé prévues par la Constitution de l’OMS.
La priorité doit être pour M. Adhanom de permettre à l’OMS de retrouver sa légitimité au niveau international en matière de santé afin de lutter contre les fléaux actuels et anticiper ceux à venir notamment afin de faire face aux conséquences sanitaires du changement climatique.
Ce contenu a été mis à jour le 28 mars 2018 à 16 h 37 min.
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