La collaboration interprofessionnelle au temps de la COVID : entre élan et témérité

Par Marie-Andrée Girard, candidate au doctorat à la Faculté de droit de l’Université de Montréal et anesthésiste pédiatrique. Elle travaille notamment au Centre Hospitalier Universitaire Sainte-Justine à Montréal, ainsi qu’à des centres hospitaliers en région éloignée, dont le CSSS d’Inuulitsivik, à Puvirnituq.

Comme les médias et les politiciens nous le rappelle fréquemment, la période actuelle est inusitée, du jamais vu depuis le début de notre ère moderne. Pour gérer cette situation sanitaire en évolution constante, l’adaptation est impérative. Qui dit situation extraordinaire, dit mesures extraordinaires pour s’adapter : l’organisation du réseau de la santé n’y échappe pas.

Les médias soulignent les sacrifices de certains Québécois dans l’exercice que le Ministère de la Santé et des Services sociaux impose au réseau de soins pour qu’il se prépare à faire face à l’afflux de patient et ait assez de fourniture pour les prendre en charge. On ne parle pas assez cependant des efforts organisationnels mis en place par différentes instances pour tenter d’insuffler de la flexibilité dans les équipes de soins, et les risques qu’ils amènent.

D’excellents exemples de cette volonté proviennent du Collège des Médecins du Québec (CMQ). En premier lieu, le CMQ, en accord avec l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) et l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), a finalement accepté la précieuse distanciation que permet la technologie en demandant à tous les prescripteurs du Québec de délaisser papier et stylo pour embrasser la prescription électronique ou minimalement télécopiée. Cette initiative commune des trois ordres, en plus de montrer un front commun, donne une flexibilité aux pharmaciens et infirmières, souvent les agents responsables de remplir les prescriptions, en plus de limiter les risques qu’ils encourent dans l’interaction avec les patients. En plus de cette flexibilité de prescription, la réaction à la pandémie a permis une meilleure intégration des technologies de l’information comme la téléconsultation, facilitée par de nouvelles lignes directrices du CMQ . En cette époque où la distanciation sociale est le mot d’ordre, la relation entre le soignant et son patient ne dépend plus de la rencontre physique, mais plus de l’échange simple des volontés de participer à l’action de soigner.

En deuxième lieu, dans un effort de minimiser les mouvements des professionnels, le CMQ s’est entendu avec l’Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec (OPPQ) pour augmenter l’autonomie des physiothérapeutes et ergothérapeutes dans le choix des appareils de support à la mobilisation (comme les déambulateurs) qui seront remboursés par l’État et pour leur permettre de faire les tests de dépistages de COVID. Ces annonces et ententes démontrent une ouverture à la notion de compétence de l’individu plutôt qu’à son titre. Et bien qu’il s’agisse de circonstances exceptionnelles pour toutes les instances décisionnelles, cette ouverture est maintenant une réalité sur le terrain : pour les équipes interprofessionnelles, c’est une avancée à souligner.

Mais cet impératif adaptatif peut mener aussi à des débordements d’enthousiasme chez certains groupes ou sous-groupes de professionnels. La situation demande une réaction concertée, mais devant l’absence « d’expert en pandémie » dans notre système, beaucoup s’improvisent experts en la matière, pour le meilleur et pour le pire… Le cadre normatif doit permettre cette flexibilité pour innover localement et permettre aux professionnels qui donnent les soins de s’ajuster en fonction des besoins et du personnel présent ou disponible. Ces innovateurs naturels peuvent être des atouts pour des solutions hors-norme. Mais l’application de ces innovations locales et particulièrement l’application directement sur les patients critiques que sont ceux souffrant du COVID est en contradiction complète avec la notion même de professionnel. Le professionnel se doit d’exercer son champ d’expertise selon les données probantes de la science et selon des techniques et méthodes reconnues de ses pairs composant son groupe professionnel. Cette exigence, même en situation d’urgence ou de limitation importante des ressources, ne disparaît pas. La compétence doit toujours rester au centre du questionnement des gestionnaires et des processus d’innovation. Repensons nos processus et modèles de soins, réexaminons les modes d’interactions entre les professionnels et les patients, retournons à ce que chaque professionnel apprend dans le cadre de sa formation initiale et de sa formation continue. Évitons toutefois de faire de cette pandémie le Far West de l’organisation du soin, là où innovation et improvisation se confondent.

Ce contenu a été mis à jour le 23 avril 2020 à 10 h 42 min.

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