La communauté de l’intelligence artificielle a bien fait ses devoirs
Il m’apparaît important de répondre au texte « Les menaces technicistes de l’intelligence artificielle » signé par Marie-Claude Goulet et publié dans vos pages le 25 novembre dernier. D’abord parce j’y suis mentionné à plusieurs reprises. Mais surtout parce que je désire corriger l’impression voulant que les chercheurs qui conçoivent les intelligences artificielles le font sans tenir compte des éventuelles conséquences sociales et des enjeux éthiques de cette nouvelle technologie.
La communauté de l’intelligence artificielle de Montréal s’impose d’ailleurs elle-même ce « Devoir de philo ». Par exemple, à l’Institut de valorisation des données (IVADO), où je suis directeur scientifique, nous avons recruté un éthicien, Martin Gibert. Et au MILA, nous menons plusieurs collaborations de recherche avec le professeur de philosophie de l’UQAM Dominic Martin. Nous travaillons également de près avec nos collègues de la Faculté de droit de l’UdeM, notamment les professeurs Catherine Régis et Vincent Gautrais, pour réfléchir aux enjeux juridiques liés à l’IA.
Le souci de développer l’intelligence artificielle de manière responsable et pour le bien de ma communauté est la raison pour laquelle j’ai choisi de rester à Montréal et dans le milieu universitaire plutôt que d’aller travailler dans le privé en Californie.
C’est pour cela que j’ai contribué, début 2017, à l’élaboration des principes d’Asilomar, qui sont reconnus comme étant à la base d’un développement sain de l’intelligence artificielle.
C’est pour cela que j’ai écrit au premier ministre Trudeau pour demander, avec mes collègues, que le Canada appuie les démarches en cours à l’ONU afin de bannir les robots tueurs. C’est pour cela que j’ai contribué, aux côtés de Stephen Hawkins et Elon Musk, à l’élaboration d’une autre lettre, cette fois-ci provenant de toute la communauté internationale en intelligence artificielle et en robotique, et exigeant un traité international pour bannir les robots tueurs.
La Déclaration de Montréal
C’est pour cela que nous avons organisé les 2 et 3 novembre derniers le Forum sur le développement socialement responsable de l’IA à Montréal. Et c’est pour cela que nous travaillons en collaboration avec des collègues des sciences humaines, notamment les professeurs de philosophie Marc-Antoine Dilhac et Christine Tappolet, à la rédaction de la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l’intelligence artificielle.
L’humain est au coeur des principes de cette déclaration en construction. Nous souhaitons que ce texte suscite un large dialogue avec le public. Nous souhaitons aussi que cette déclaration mène les États à fixer des balises et des règles de conduite relativement à l’intelligence artificielle. Chacun est d’ailleurs invité à y contribuer.
Nous nous donnons tout ce mal pour baliser cette nouvelle technologie parce qu’effectivement, l’émergence de l’intelligence artificielle ouvre la porte à des abus et à des transformations économiques qui demanderont que nos gouvernements s’adaptent et répartissent la richesse créée. Mais cette technologie promet aussi de nombreux bienfaits, pour le bénéfice de tous si nous faisons les bons choix collectifs. On peut penser à des applications dans le domaine médical ou de l’éducation, à des solutions environnementales, à une justice plus accessible, à de nouvelles découvertes scientifiques. Et aussi, grâce à des robots qui effectueront des tâches répétitives, à une libération d’une certaine forme d’esclavage moderne : celle d’un travail où l’humain ne s’épanouit pas.
On ne peut prédire avec exactitude les effets qu’aura l’intelligence artificielle sur nos vies, pas plus qu’on ne pouvait prédire les conséquences de l’arrivée de l’électrification il y a plus d’un siècle, ou de l’ordinateur personnel dans les années 1970. La seule certitude que j’ai est que l’intelligence artificielle va prendre son essor dans les années à venir, avec ou sans Montréal.
Voilà pourquoi il est si important de s’y investir à Montréal. Nous avons l’occasion de devenir des producteurs et non pas seulement des consommateurs de cette technologie transformatrice, qui créera énormément de richesse. Nous avons aussi la chance exceptionnelle de donner une couleur typiquement montréalaise à ces développements : inclusive, ouverte, créative et profondément humaine. En produisant une partie de cette richesse ici plutôt qu’en Californie, et en le faisant de manière responsable, nous serons en bien meilleure position pour redistribuer les gains de l’intelligence artificielle dans la collectivité.
Ce contenu a été mis à jour le 10 juin 2020 à 15 h 09 min.
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