La Commission Robillard et l’amélioration de l’accessibilité des soins de santé : le Québec prêt pour l’interdisciplinarité ?

Par Marco Laverdière et Catherine Régis

 

Parmi l’ensemble des recommandations de la Commission Robillard rendues publiques au cours des derniers jours, ce sont surtout celles concernant Revenu Québec et la Société des alcools du Québec qui ont retenu l’attention. On aurait toutefois tort de négliger celles qui concernent le secteur de la santé, alors que la Commission s’est intéressée non seulement à la performance globale du système sociosanitaire québécois, mais plus particulièrement à l’accessibilité des services de première ligne.

L’une des idées maîtresse, qui fait l’objet de pas moins de deux recommandations (numéros 48 et 51), consiste à miser sur l’interdisciplinarité, soit, pour le dire simplement, sur la collaboration entre des professionnels de diverses disciplines en vue de la prestation des soins aux patients. On associe généralement à ce concept l’idée du partage d’activités, suivant laquelle certains actes qui étaient jusqu’ici réservés, à la médecine, par exemple, pourraient dorénavant être réalisés par d’autres professionnels, comme les infirmières et pharmaciens.

L’idée n’est bien sûr pas vraiment nouvelle et pourrait aisément être cataloguée comme un énième vœu pieu, gentiment formulé par un autre groupe de technocrates plus ou moins assurés de voir le fruit de leur travail finir sur une tablettes avec bien d’autres rapports et études commandés par l’État québécois au fil des ans. On ne peut sans doute pas écarter un tel scénario, mais du même coup, il faut bien avouer que certains signaux suggèrent une conjoncture favorable à l’émergence d’une réelle culture de l’interdisciplinarité.

On note à ce sujet que le Québec a déjà fait certains choix innovateurs et judicieux en vue de favoriser la collaboration interprofessionnelle, en mettant sur pied, dès les années soixante-dix, un système professionnel fortement intégré, regroupant l’ensemble des professions sous une même loi-cadre et sous la surveillance d’un organisme public doté notamment de fonctions de concertation interdisciplinaire, soit l’Office des professions du Québec, sans compter la mise sur pied du Conseil interprofessionnel du Québec, soit un regroupement des ordres professionnels. Cependant, nombreux sont ceux qui ont fait le constat au cours des dernières années que, pour le secteur de la santé du moins, ce système était sclérosé par ce qu’on appelle communément le « corporatisme », soit une attitude de repli sur les intérêts particuliers de chacune des professions qui rend presque impossible toute évolution visant à mettre à profit les réelles capacités d’interventions des différentes disciplines. Dans le cas des infirmières praticiennes spécialisées, celles qu’on appelle parfois les « superinfirmières », plusieurs ont souligné que le Québec a trop tardé à permettre à ces dernières de se déployer à un niveau comparable à ce qu’on retrouve ailleurs, notamment chez certains de nos voisins canadiens. Il s’agit là d’un exemple, parmi d’autres, qui a conduit certains observateurs à faire le constat d’un retard sur le plan de l’interdisciplinarité au Québec, dont le Commissaire à la santé et au bien-être, l’organisme chargé d’évaluer la performance du système de santé au Québec.

Or, au cours des dernières années, différentes initiatives permettent de croire que, plus que jamais, les ordres professionnels du secteur de la santé sont maintenant bien conscients du rôle central qu’ils doivent jouer en vue de favoriser un meilleur accès aux soins de santé et à la nécessité, pour eux, de mettre fin à certains conflits stériles observés dans le passé. Ainsi, en juin dernier, quelque 20 ordres professionnels du secteur de la santé adhéraient à un énoncé de position proposé par le Collège des médecins, l’Ordre des infirmières et infirmiers et l’Ordre des pharmaciens à l’effet de reconnaître « l’importance d’une meilleure connaissance des rôles et des expertises des différents professionnels et du développement de la pratique collaborative dans la prestation de soins et services, notamment auprès des personnes ayant des maladies chroniques ». Au-delà de ces belles intentions, on note aussi qu’au cours des dernières années, cette collaboration interordres a conduit à des résultats concrets, soit notamment la définition et la mise en œuvre d’initiatives visant à accroître le rôle des pharmaciens, avec le projet de loi 41, et celui consistant à une modernisation du cadre d’exercice des professions du secteur de la santé des mentale et des relations humaines, incluant l’encadrement de la physiothérapie, avec le projet de loi 21.

La table est ainsi mise pour que le système professionnel québécois opère un rattrapage et s’inspire des pratiques innovantes que d’autres pays ou provinces ont déjà embrassées, entre autre au chapitre de différentes mesures qui sont susceptible de soutenir ce qu’on appelle les facteurs d’adhésion à l’interdisciplinarité, tant dans les milieux de soins qu’en ce qui concerne la collaboration interordres. On pense notamment à la possibilité pour les ordres de faire des interventions conjointes dans les lieux de pratique ainsi qu’à la diffusion d’information et de normes réglementaires et cliniques susceptibles de favoriser la confiance et une meilleure compréhension du rôle des divers intervenants, clarifiant ainsi les niveaux de responsabilité de chacun pour éviter les craintes non fondées de poursuites judiciaires par exemple. On pense aussi à l’établissement de mécanismes efficaces et crédibles afin de solutionner les différends interdisciplinaires qui, même avec la meilleure volonté du monde, resteront sans doute inévitables.

Bref, s’il est vrai qu’une interdisciplinarité accrue peut faire une différence en matière d’accès aux soins de première ligne et si les indices d’une réelle ouverture du système professionnel à cet égard ne sont pas qu’apparences, peut-être sera-t-il bientôt possible de convaincre les Québécois de mettre de côté le cynisme habituel qu’ils ont appris à entretenir à l’égard de ces enjeux et à l’égard des ordres professionnels en particulier. Le système professionnel devra toutefois se montrer à la hauteur d’un tel projet qui, non seulement est porteur pour le système de santé québécois, mais a l’immense avantage de pouvoir aller de l’avant même dans le contexte actuel de morosité des finances publiques.

 

Les auteurs du présent texte ont récemment finalisé une recension des facteurs d’adhésion et de résistance à la collaboration interdisciplinaire, en les situant dans le cadre des mécanismes prévus au sein du système professionnel québécois et des développements observés ailleurs au Canada.  Ce texte sera bientôt publié dans l’ouvrage suivant : Les Grands conflits en droit de la santé à paraître aux éditions Yvon Blais en 2015.

Ce contenu a été mis à jour le 9 septembre 2015 à 10 h 31 min.

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