Nouvelle série de billets de blogue : Le Rapport Cayton et la réglementation des professions de la santé : Des idées pour une rénovation du système professionnel québécois (1/3)

Par Marco Laverdière, avocat, chercheur associé de la Chaire de recherche du Canada sur la culture collaborative en droit et politiques de la santé de l’Université de Montréal, enseignant au programme de maîtrise en droit et politiques de la santé de l’Université de Sherbrooke et directeur général d’un ordre professionnel

Mis sur pied dans la foulée des travaux de la Commission Castonguay-Nepveu au début des années soixante-dix, le système professionnel québécois regroupe aujourd’hui quelque 46 ordres professionnels, dont une très grande proportion dans le secteur de la santé. Il veille à l’encadrement d’un peu plus de 400 000 professionnels au Québec en vue d’assurer la protection du public, sous la surveillance de l’Office des professions du Québec

À l’époque de sa création et dans les quelques décennies qui ont suivi, ce système pouvait apparaître comme un modèle novateur particulièrement bien conçu, avec un objectif de protection du public clairement posé, cherchant à offrir bon équilibre entre l’autonomie des professions et un certain niveau de supervision étatique, le tout reposant sur des règles communes définies dans une loi-cadre, le Code des professions.

Or, malgré les qualités réelles ou supposées de ce système, les ordres professionnels n’ont pas toujours bénéficié d’une perception positive dans l’espace public, pour dire le moins. C’est ainsi qu’en raison de différentes circonstances qui seront évoquées dans le présent texte et malgré quelques révisions plus ou moins substantielles du Code des professions et des autres lois professionnelles au cours des dernières années, on entend maintenant des intervenants du milieu soutenir qu’il faudrait apporter des changements majeurs à ce système, quelques uns allant même jusqu’à envisager son remplacement par un autre modèle d’encadrement des professions.

Si le choix se pose en termes de rénovation ou de remplacement, c’est qu’en matière de réglementation professionnelle comme en d’autres, la nature a horreur du vide. Ainsi, on envisage mal qu’un consensus puisse émerger sur une déréglementation complète des professions, dans la mesure où il y aura sans doute toujours un impératif de protection particulière à l’égard de plusieurs activités à risque, pour lesquelles il n’y a pas, outre le droit commun, d’autres régimes réglementaires applicables. C’est le cas notamment pour les professionnels de la santé exerçant dans le secteur privé, qui connaît un certain essor et où on ne retrouve pas toute l’architecture administrative et réglementaire du réseau public de la santé et de services sociaux visant à assurer la sécurité et la qualité des services. Dans ce cas, à défaut de réglementation professionnelle, ce serait essentiellement le libre-marché qui dicterait les règles applicables.

Ceci dit, il y a différentes façons de concevoir la réglementation des professions, que ce soit dans un cadre plus centralisé et plus étroitement contrôlé par l’État, comme en France et dans plusieurs pays d’Europe continentale, ou dans un cadre d’autoréglementation avec un contrôle de l’État un peu plus distant, comme c’est le cas dans les pays de tradition juridique anglo-saxonne, tels le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie. 

Il existe finalement peu d’indicateurs fiables ou de « données probantes » qui permettent de bien départager les forces et les faiblesses des différents modèles en cause. Bien sûr, pour les professions de la santé, on pourrait par exemple considérer des indicateurs liés aux événements indésirables (accidents/incidents thérapeutiques par exemple). Il est probable toutefois que plusieurs facteurs soient susceptibles d’influer de tels indicateurs, des facteurs qui ne seraient pas tous liés à la réglementation professionnelle et qui pourraient ainsi relever de l’organisation générale et du financement du système de santé et de bien d’autres paramètres.

À la recherche d’un modèle plus performant : l’approche « Right-touch » et le Rapport Cayton

Depuis quelques années, le Professional Standards Authority (PSA) du Royaume-Uni est particulièrement engagé dans l’évaluation de la performance de la réglementation professionnelle. Relevant du parlement britannique, cet organisme est, pour l’essentiel, chargé de surveiller et d’évaluer les autorités réglementaires et les registres de praticiens de diverses disciplines du Royaume-Uni, en vue d’assurer la protection du public. Ayant lui-même constaté qu’il y avait peu de données fiables sur ce qui constitue une réglementation professionnelle efficace, le PSA a entrepris de soutenir la recherche sur cette question.  Sous l’appellation « Right-touch », il a aussi entrepris de développer une approche centrée sur l’efficacité réglementaire, qui s’apparente en quelque sorte à une approche de « légistique matérielle », et qui peut être décrite comme suit (p. 13 de ce rapport):

Right-touch regulation is an approach to regulatory decision-making. It means always asking what risk we are trying to address, being proportionate and targeted in regulating that risk or finding ways other than regulation to promote good practice and manage risks of harm. It allows the development of the appropriate contribution of the regulatory regime to the delivery of wider aims. It promotes the creative use of existing mechanisms for the reduction of harm and supports professionalism and a joined-up approach to regulation. It is agile and responsive to the ever-changing circumstances and risks in which it operates.

Sur la base de cette approche, le PSA est régulièrement invité à procéder à l’évaluation de la performance de différentes autorités réglementaires dans divers pays. Il a ainsi récemment eu l’occasion de se pencher sur le cas du College of Dental Surgeons of British Columbia (CDSBC), suite à différentes défaillances qui ont défrayé les manchettes. C’est ainsi que M. Harry Cayton, un ancien directeur du PSA, agissant aujourd’hui à titre d’expert pour cette même organisation, a produit en décembre 2018 un rapport qui traite non seulement du cas particulier de l’ordre professionnel en question, mais aussi de l’ensemble du système de réglementation des professions de la santé de la Colombie-Britannique. 

Sur ce dernier volet, on retrouve ce constat dans le son rapport (p. 90) :

In numerous jurisdictions self-regulation of the liberal professions has shown itself slow to adapt to the expectations of consumers. In health care in particular it has struggled to adapt to the changing needs and expectations of patients, to new technologies and to new business and delivery models. Regulation based on the supposed uniqueness of individual occupations runs counter to contemporary practice through effective team-based inter-professional collaboration. It also protects existing occupational boundaries against new roles and ways of working, putting up barriers to desirable developments in the expansion of the health workforce.

Toujours dans ce rapport, l’expert Cayton y va de plusieurs recommandations, dont certaines visent à réformer complètement le modèle britanno-colombien de réglementation des professions de la santé. Voici l’essentiel des mesures proposées à ce chapitre (p. 69-91 du rapport) :

  • révision du mandat des ordres, de façon à ce qu’il soit centré sur la protection de la sécurité des patients, la prévention des préjudices et la promotion de la santé et du bien-être de la population, en évacuant totalement les fonctions associatives et en faisant en sorte que les professionnels ne soient plus maintenant désignés comme des « membres » des ordres, mais bien comme des « registrants » (qu’on pourrait peut-être traduire comme « inscrits » ou « assujettis »);
  • réduction du nombre de membres des conseils d’administration des ordres professionnel, qui seraient maintenant tous nommés en fonction de leurs compétences, plutôt qu’élus, et dont la moitié seulement serait des professionnels;
  • fusion des petits ordres professionnels, pour constituer de plus grandes organisations;
  • instauration d’un système plus simple, efficace et transparent pour le traitement des plaintes du public, alors que les fonctions adjudicatives seraient confiées à un organe indépendant qui serait également chargé de la tenue du registre des professionnels autorisés;
  • adoption d’un seul code de déontologie pour l’ensemble des professionnels de la santé;
  • mise sur pied d’un organisme indépendant chargé de la surveillance des ordres professionnels, de l’approbation de leur réglementation, de la sélection des membres de conseils d’administration et de la mise en œuvre d’un processus d’évaluation du risque pour déterminer quelles activités devraient faire l’objet de la réglementation professionnelle.

Les mesures recommandées dans le Rapport Cayton concernant le CDSBC sont déjà en cours d’implantation, alors que celles qui concernent plus largement le cadre réglementaire des professions de la santé sont soumises à l’évaluation d’un comité de parlementaires. Depuis sa publication, ce rapport attire l’attention de tous ceux qui s’intéressent à la réglementation professionnelle au Canada et il alimente la réflexion sur les changements qui pourraient être apportés à ce chapitre dans différentes provinces.

Ce contenu a été mis à jour le 10 juin 2020 à 15 h 16 min.

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