L’accès aux renseignements à des fins de recherche
L’un des objectifs importants de la Loi 5 est de faciliter l’accès aux renseignements de santé à des fins de recherche, tout en visant à en préserver la confidentialité par un ensemble de processus d’autorisation préalable, de limites et de restrictions (art. 44 à 61). Un droit de refus pour la personne concernée est également prévu, mais de façon un peu plus circonscrite que dans le cas du partage de renseignements à des fins cliniques, soit pour éviter la sollicitation en vue de sa participation à un projet de recherche ou, encore, pour exclure les chercheurs qui ne sont pas liés à un organisme désigné (art. 8 par. 3 et 4). Quant à la disposition transitoire (art. 280) relative à l’exercice de ce droit, les mêmes questions se posent que dans le cas de la communication de renseignements à des fins cliniques.
Différentes dispositions de la Loi 5 font en sorte que la communication de renseignements à des fins de recherche ne devrait pas, a priori, se faire de façon à permettre l’identification de la personne concernée (art. 5 al. 2, 48 al. 2 par. 2). Ces exigences convergent avec celles qu’appliquent habituellement les organismes subventionnaires en matière de recherche, On remarque qu’il ne s’agit pas d’une exigence d’anonymisation, suivant laquelle la possibilité de réidentification, même indirecte, devrait être écartée (art. 111). Ainsi, à moins de penser que l’exigence d’anonymisation est celle qui devrait prévaloir pour assurer la protection du secret professionnel, une interprétation possible est que les dispositions en cause peuvent avoir une efficacité sans avoir à lever ce secret, lorsque les renseignements ne permettent plus l’identification directe d’une personne.
La question la plus sensible concerne évidemment la communication à des chercheurs de renseignements qui permettraient d’identifier les personnes visées, sans le consentement de celles-ci. C’est une possibilité qui semble envisageable suivant la Loi 5, lorsque la communication de renseignements sous une forme ne permettant pas d’identifier la personne concernée compromettrait la réalisation du projet de recherche (art. 48 al. 2, par. 2, a contrario). On peut difficilement se rabattre ici sur un concept analogue au « cercle de soins », pour lequel un consentement présumé du patient est généralement envisageable.
Les mécanismes préalables d’autorisation d’accès à des renseignements de santé pour des fins de recherche sont conçus de façon à ce que les organismes détenteurs soient consultés en amont, ce qui pourrait atténuer les risques de divergence d’appréciation (art. 46). Si toutefois une telle divergence était maintenue après l’autorisation de l’organisme auquel est lié le chercheur et que l’organisme détenteur estime avoir des raisons sérieuses au regard de l’obligation au secret professionnel de s’opposer à la communication, que faire de l’obligation de communication prévue par la loi (art. 70 et 71) ? Ici aussi, une hypothèse vraisemblable est que cette obligation de communication devrait être interprétée restrictivement et que dans le doute, le consentement de la personne concernée devrait être sollicité et son refus respecté, même si celui-ci n’a pas été formulé par écrit.
Deuil et causes de décès
La Loi 5 prévoit que les proches d’une personne décédée pourraient avoir accès à certains renseignements de santé, soit ceux relatifs à la cause du décès (art. 8 par. 2, 29 et 31) ou ceux qui seraient susceptibles de favoriser le processus de deuil (art. 8 par. 1 et 28). Le cas du deuil est également visé par les lois généralement applicables dans le secteur public et le secteur privé, telles que modifiées par la Loi 25. Ces modifications semblent faire échos à certaines affaires sur lesquelles la CAI a eu à intervenir, en révision, au cours des dernières années. Dans tous les cas, un droit de refus est prévu, la personne concernée pouvant refuser d’accorder ce droit d’accès « de façon expresse », selon les modalités déterminées par règlement du gouvernement (art. 9; voir le projet de règlement d’application, art. 5 et 6). Une disposition transitoire (art. 280) concerne également l’exercice du droit de refus, avec le même questionnement que pour l’exercice du droit de restriction déjà évoqué.
En ce qui concerne le deuil, suivant l’exemple donné sur une page web du gouvernement du Québec qui y est consacrée, il pourrait s’agir d’une photo souvenir versée au dossier. On peut bien sûr comprendre que celle-ci pourrait être communiquée à des proches s’il s’avère qu’elle ne correspond pas à un renseignement de nature confidentielle obtenu dans le cadre d’une relation professionnelle, donc s’il ne s’agit pas d’un renseignement protégé par le secret professionnel.
Mais dès lors qu’il s’agit d’un renseignement couvert par le secret professionnel, est-ce qu’il faut considérer que celui-ci est levé aux fins de permettre ces communications ? Faut-il considérer que le droit de refus, apparemment plus complet que celui prévu en matière de recherche, signifie que le législateur l’a autorisé expressément, en établissant un certain équilibre entre les intérêts en cause ? Si c’est bien le cas, faut-il que le patient ait eu une véritable occasion d’exercer ce droit de refus et qu’il soit possible de documenter qu’il a effectivement renoncé à l’exercer ?
Cette question pourrait notamment se poser avec une certaine acuité dans le cas des personnes qui se sont confiées sans réserve à un professionnel, comme un psychiatre ou un autre professionnel exerçant en santé mentale, sans avoir eu une occasion valable d’exercer le droit de refus, notamment si la relation professionnelle est intervenue avant l’entrée en vigueur de la loi. A priori, on voit mal comment on pourrait, post mortem, priver une personne décédée des garanties habituellement offertes par le droit fondamental au secret professionnel.
Risque sérieux de mort ou de blessures graves (disparition, acte de violence, suicide, etc.)
La loi 5 (art. 74) reprend, avec certaines adaptations et nouveautés (pour les cas de disparition notamment), une disposition dont l’essentiel est déjà intégré dans les lois actuelles. Il s’agit ainsi de permettre à un organisme de :
… communiquer un renseignement qu’il détient en vue de protéger une personne ou un groupe de personnes identifiable lorsqu’il existe un motif raisonnable de croire qu’un risque sérieux de mort ou de blessures graves, lié notamment à une disparition ou à un acte de violence, dont une tentative de suicide, menace cette personne ou ce groupe et que la nature de la menace inspire un sentiment d’urgence.
La question du secret professionnel est grandement simplifiée ici du simple fait qu’une disposition correspondante est incluse au Code des professions, indiquant clairement que les professionnels détenant de telles informations peuvent ainsi communiquer les renseignements en cause malgré le secret, lorsque les conditions indiquées sont réunies (art. 60.4).
Pour autant, ce procédé contribue à entretenir le doute sur les autres autorisations de communication prévues par la Loi 5 qui ne font pas l’objet d’une disposition correspondante dans le Code des professions en vue de soutenir explicitement la levée du secret professionnel. Comment interpréter cette approche apparemment inconstante du législateur ?
Renseignement nécessaire aux fins d’une poursuite pour une infraction
La loi 5 (art. 75) reprend une disposition que l’on retrouve dans les lois d’application générale, mais qui n’était pas incluse dans les lois particulières au secteur de la santé, selon laquelle un organisme :
… peut communiquer un renseignement qu’il détient au Directeur des poursuites criminelles et pénales ou à une personne ou à un groupement qui, en vertu de la loi, est chargé de prévenir, de détecter ou de réprimer le crime ou les infractions aux lois lorsque le renseignement est nécessaire aux fins d’une poursuite pour une infraction à une loi applicable au Québec.
Cette disposition a retenu l’attention lors des travaux en commission parlementaire et les échanges à ce sujet ont alors conduit la partie ministérielle à donner les précisions suivantes (nos soulignements) :
L’article 68 [devenu l’article 75 dans la version finale de la loi], c’est une possibilité qui, effectivement, à la première lecture, ça a l’air large comme une autoroute, mais ça ne l’est pas, en pratique, parce que c’est balisé, notamment parce qu’il y a le secret professionnel. C’est considéré, puis on a consulté nos collègues constitutionnalistes, là, pour être sûrs par rapport à l’interprétation par rapport aux chartes, que ce n’est pas considéré comme suffisamment précis pour écarter le secret professionnel, de un.
De deux, il y a toutes les balises de la jurisprudence. La police qui veut utiliser comme preuve un dossier médical doit, pour pouvoir l’utiliser comme preuve dans une poursuite criminelle, pour reprendre cet exemple là, doit avoir un mandat de perquisition. Elle ne peut pas juste… ça ne peut pas juste être spontané comme ça. Donc, toutes ces règles-là qui sont dans la jurisprudence, dans les chartes, s’appliquent et viennent restreindre la portée de l’article 68. D’autre part, l’article 68, il est vu comme une nouveauté parce qu’on a… on se rendait plus ou moins compte qu’il s’appliquait au secteur de la santé, mais il est dans la Loi sur l’accès, il est dans la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé, l’équivalent est là, et ça, cet article-là s’applique à tous les cabinets, ne s’applique pas aux établissements de santé, mais s’applique à tous les cabinets privés de professionnels du secteur de la santé auxquels on peut penser, que ce soit un cabinet de médecins, cabinet de psychologues, etc., et, dans la pratique, ça n’a pas posé de problème d’application. C’est sûr que sur la crainte subjective que des gens, à la lecture de cet article-là, pourraient avoir, bien, juridiquement, on la considère qu’elle n’est pas fondée, cette crainte-là, puis rendu là, c’est une question de communication publique, d’éducation, de venir rassurer les gens, puis de dire : Non, ce n’est pas parce que cet article-là existe que votre psychologue, parce que vous lui avez confié avoir commis une infraction, prend le téléphone puis déclare ça à la police. Ce n’est vraiment pas l’effet de cet article-là, même s’il peut laisser croire autrement.
Puis, pour terminer l’explication complète, on n’a pas vraiment le choix de laisser le libellé tel quel, même s’il peut laisser sur cette impression-là, parce que c’est la concordance avec le reste des lois. Elle est comme ça la disposition dans les autres lois. Donc, si on venait le restreindre ici par une interprétation a contrario, on viendrait laisser croire qu’elle est plus large ailleurs, et ce n’est pas le cas.
Il est sans doute rassurant, eu égard à l’importance de préserver la nécessaire relation de confiance entre les patients et les professionnels de la santé et des services sociaux, qu’il soit reconnu que la disposition en cause ne fait pas échec au secret professionnel. Toutefois, le raisonnement avancé pour justifier la présence et la portée de cette disposition n’apparaît pas totalement satisfaisant.
D’abord, ces explications tendent à confondre les contextes judiciaires et extrajudiciaires en lien avec l’accès aux renseignements de santé. Comme la Cour suprême l’a déjà indiqué, il est entendu que dans un contexte judiciaire, des règles particulières gouvernent la communication de tels renseignements et leur admissibilité en preuve. De ce point de vue, la nouvelle disposition n’apparaissait pas nécessaire et il aurait pu être suffisant, comme sous l’actuel article 19 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, de simplement prévoir qu’un tel renseignement peut être communiqué sans le consentement de la personne concernée suivant « l’ordre d’un tribunal ».
Par ailleurs, compte tenu de la nature de la loi et suivant le libellé de cette disposition, rien n’indique qu’elle ne pourrait pas être invoquée dans un contexte extrajudiciaire, au soutien d’une simple demande « administrative » de communication par l’un des intervenants visés ou, à l’inverse, d’une initiative de communication de l’organisme détenteur, donc sans même qu’une autorité judiciaire quelconque n’ait eu à se prononcer à ce sujet. Il faudra donc effectivement espérer que les nombreux intervenants concernés, autant ceux du secteur public que du secteur privé, auront les connaissances voulues et feront preuve de circonspection pour refuser de communiquer des renseignements protégés par le secret professionnel pour les finalités visées, du moins en l’absence d’une ordonnance judiciaire à cette fin.
Il est vrai que des dispositions similaires se retrouvent depuis longtemps dans des lois d’application générale, pour les secteurs public et privé. Même si celles-ci trouvent effectivement application dans le domaine de la santé, en complément des dispositions plus spécifiques qui s’y appliquent, l’objet principal de ces lois n’est pas de traiter particulièrement de renseignements de santé qui sont très largement couverts par le secret professionnel. Il faudra aussi espérer que l’inclusion d’une telle disposition dans la Loi 5 qui, elle, vise spécifiquement des renseignements de santé généralement couverts par le secret professionnel, ne sera pas interprétée comme l’inclusion d’une « disposition expresse » autorisant la levée de ce secret, même dans un contexte purement administratif.
En définitive, s’il faut effectivement conclure que la disposition en cause n’a pas pour effet de lever le secret professionnel, qu’en est-il alors du « principe d’efficacité » déjà évoqué ? Aussi, s’il est vrai que cette disposition est « insuffisamment précise » relativement au secret, qu’en est-il des autres dispositions de la Loi 5 qui autorisent diverses communications sans être nécessairement plus précises à ce sujet ? Quel est le degré de précision recherché, si ce n’est une mention explicite de la levée du secret professionnel ?
Conclusion
Cet exposé constitue un aperçu très parcellaire des dispositions de la Loi 5 et de leurs interactions éventuelles avec le secret professionnel. D’ores et déjà, il laisse penser que, de façon générale, l’équilibre recherché entre la confidentialité et la fluidité de la circulation des renseignements personnels, pourrait généralement bien s’accommoder des exigences particulières liées au secret professionnel.
Ceci dit, ce même exposé permet d’anticiper certaines questions ou difficultés d’application pour lesquelles d’éventuelles « balises » réglementaires que le ministre peut fixer pour guider les intervenants (art. 43 par. 1) s’avéreraient utiles, à défaut de pouvoir compter sur une pratique législative constante et cohérente sur ce qui constitue une disposition expresse autorisant la levée du secret professionnel. Aussi, l’accompagnement de l’ensemble des intervenants concernés, sur le plan documentaire et de la formation, sera évidemment crucial pour que la nouvelle loi produise les effets escomptés, sans « effets indésirables ».
Autrement, s’il s’avérait que cette loi conduit à certains dérapages quant à la protection de la confidentialité et du secret professionnel, l’actualité médiatique, voire judiciaire, qui en découlerait pourrait compromettre la confiance du public à son endroit et, plus largement, les bénéfices attendus, notamment au chapitre de fonctionnement du système sociosanitaire et de la recherche.
Ce contenu a été mis à jour le 17 mars 2024 à 12 h 07 min.
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