L’attaque frontale du Président Trump à l’égard de l’Organisation mondiale de la santé : la fin des haricots?

Par Catherine Régis, professeure titulaire, Faculté de droit de l’Université de Montréal, Chaire de recherche du Canada en droit et politiques de la santé et Jean-Louis Denis, professeur titulaire à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Chaire de recherche du Canada sur l’adaptation et le design des systèmes de santé. Les deux auteurs sont co-fondateurs du Hub santé – politique, organisations et droit (H-POD).

Une version plus succincte de ce billet est disponible sur le site La Conversation.

Le président Donal Trump a annoncé en avril sa volonté de couper le financement des États-Unis à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), soit l’institution intergouvernementale chargée de coordonner les efforts mondiaux en temps de pandémie. Les réactions condamnant cette annonce ont été vives. En mettant l’OMS et sa gestion de la pandémie sur la sellette, le président Trump provoquera-t-il le déclin de l’OMS?

Considérant l’ampleur de la crise et l’interdépendance qui en résulte entre les pays pour lutter efficacement contre la Covid 19, l’enjeu du retrait de ce financement s’avère nécessairement important. Le budget bisannuel de l’OMS est de 6 milliards de dollars pour coordonner les efforts de santé mondiale; en comparaison, les Centres pour le contrôle de la maladie et la prévention aux États-Unis ont un budget annuel de 11 milliards. S’agissant du financement des États-Unis , il s’élève à plus de 550 millions dollars par année, soit le plus important montant accordé par l’un des 194 pays membres de l’OMS (malgré des arrérages substantiels). La contribution des États-Unis comprend un mélange de contributions fixées et volontaires. Les contributions fixées sont établies en fonction de la fortune et de la population du pays. Quant aux contributions volontaires, elles sont déterminées à la discrétion des États qui peuvent ainsi notamment financer des projets précis arrimés à leurs priorités.

Les contributions fixées demeurent une source privilégiée de financement pour l’OMS. Elles lui offrent un certain degré de prévisibilité et d’autonomie. Cela diminue d’une part sa dépendance par rapport à une base limitée de donateurs – amenuisant ainsi les conflits d’intérêts – et, d’autre part, permet l’alignement des ressources sur le budget programme. Or, les contributions fixées des pays ont décliné de manière significative depuis plusieurs années, comptant maintenant pour moins d’un quart du financement de l’organisation. Plusieurs pays, dont les États-Unis, préfèrent avoir recourt à des contributions volontaires à un niveau supérieur que leur contribution fixes. Ces moyens financiers limités et décroissants ont de l’avis de différents experts fragilisés les capacités d’actions de l’OMS, incluant en temps de crise (par exemple quant à l’offre d’assistance technique et d’expertise pour les pays).

Mais au-delà de cet enjeu, l’OMS a certes des défis importants à relever pour s’adapter à une mondialisation grandissante qui accroît les risques sanitaires. Outre son action en temps de pandémie, l’OMS a le très large mandat «d’amener tous les peuples au niveau de santé le plus élevé possible» (Article 1, Constitution de l’OMS) ce qui lui impose une mission d’une grande amplitude, et ce, dans un contexte où de nombreux facteurs ont un impact sur la santé (éducation, environnement, économie, etc.).

Cette réalité suscite des impératifs croissants de collaboration et de régulation internationale afin de protéger la santé des individus. L’OMS dispose d’ailleurs d’un pouvoir de nature normative lui permettant de développer des normes pour guider les actions des pays dans l’atteinte d’objectifs de santé. À titre d’exemple, elle a adopté le Règlement sanitaire international (2005) (RSI) qui impose des responsabilités et obligations aux pays afin de prévenir la propagation internationale de maladies, de s’en protéger et d’agir par une action concertée. Même si le RSI a été critiqué en raison sa difficulté à réguler efficacement l’enjeu pour lequel il a été prévu (pandémie), la situation actuelle montre bien l’importance de se doter de normes sanitaires qui rendent les États imputables à l’égard de leurs actions en matière de santé publique.

Toutefois, malgré ce pouvoir, l’OMS dispose de peu de moyens pour forcer l’exécution de ses normes, incluant le RSI, lesquelles reposent en grande partie sur le volontarisme des États. Par exemple, l’OMS ne peut intervenir pour évaluer sur place la gravité du risque international de santé publique que si un pays l’y autorise. De plus, contrairement à d’autres organisations internationales comme l’Organisation mondiale du commerce, l’OMS ne bénéficie d’aucun mécanisme efficace de règlement des différends permettant d’assurer le respect de ses instruments. Conséquemment, en vertu du principe de la souveraineté des États, ces normes internationales doivent être intégrées au droit interne des pays pour acquérir une force réellement exécutoire. Plus largement, pour que ce leadership normatif de l’OMS se concrétise, les normes internationales adoptées par l’OMS doivent être suivies par des actions concrètes des acteurs nationaux (décideurs, législateurs, professionnels de la santé, gestionnaires, etc.) afin d’influer sur la santé. Ainsi, pour que l’OMS puisse davantage exercer de contrôle sur les gestes des pays en contexte de pandémie – ou sur la santé mondiale, il faudra lui donner les leviers nécessaires pour qu’elle potentialise son leadership normatif (voir par exemple la proposition du spécialiste en santé mondiale Hoffman) afin de rendre les États davantage imputables.

La décision du président Trump ne provoquera probablement pas la fin de l’OMS, mais l’amènera sur un chemin difficile.  Fragiliser la légitimité et les capacités d’action de celle-ci en plein cœur d’une crise sanitaire mondiale a certes de quoi inquiéter. Mais l’OMS et ses États Membres ne devront pas négliger de revoir et d’améliorer ses modalités d’action une fois le plus fort de la crise passé. Une discussion sur la transformation d’une organisation créée il y a plus de 60 ans dans un monde qui s’est lui-même transformé est requise. À terme, considérant les risques accrus de pandémie et le mandat exigeant de l’OMS, le financement (surtout les contributions fixées) ne doit pas être coupé, mais vraisemblablement accru, et ce, en exigeant aussi les modalités de reddition de compte qui s’imposent envers l’OMS (absence de conflits d’intérêts, résultats, transparence, etc.). Cette reddition accrue de l’OMS dépendra ultimement d’un renforcement de ses capacités à s’imposer auprès de l’ordre sanitaire mondial constitué d’États souverains. Ce renforcement fera d’ailleurs l’objet d’un projet de recherche de trois ans financé par le Conseil de recherche en sciences humaines.

*Les auteurs remercient Florian Kastler, chercheur associé à l’Institut Droit et Santé de l’Université de Paris et enseignant à Sciences Po Paris pour ses commentaires sur ce billet.

Ce contenu a été mis à jour le 22 avril 2021 à 8 h 44 min.

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